Interview réalisée par TIBO – photographe reporter
8 avril 2005 au Crotoy
Tibo : Pourquoi ce titre « Le A noir de Madagascar » ?
FM : je me suis inspiré de la poésie de Rimbaud : « Voyelles ». A noir, e blanc, i rouge… j’ai voulu donner une géographie et une histoire à ce A. Mon héros devait partir à l’aventure. Il m’a semblé que Madagascar était le pays du A. C’est une idée mystique, le A est, dans mon esprit, la rencontre de l’Afrique et de l’Asie. Je me sens appartenir au signe du A. Il y en a 2 dans mon nom. Ils me portent vers l’ailleurs et affirment mon existence bien plus que les autres lettres.
J’ai pensé qu’un film pouvait incarner le destin d’un sonnet de Rimbaud. Naturellement, je me fais mon cinéma. Mon héros recherche un film des années 30 mais aussi autre chose.
Tibo : Quoi d’autre ?
FM : Une femme. C’est une histoire d’amour. C’est la poursuite mystérieuse d’autre chose, la quête pathétique d’une vérité cachée. C’est le « finis africae » de chacun d’entre nous.
Tibo : On retrouve votre héros du Rajah des Rivières, Fabrice Sinibaldi. Pourquoi ?
FM : Parce que j’ai fini par m’en faire un ami. C’est un héros tragique, déchiré de nostalgie, entouré des fantômes du passé. C’est un être solitaire, Corse et Breton, avec un côté colonial. Sinibaldi est aussi lézardé que les vieux palaces qu’il aime fréquenter. Cet homme est né triste et pourtant il fait de son ennui une histoire d’amour.
Tibo : C’est votre quatrième roman d’aventures. Comment vous situez-vous par rapport à ce genre ?
FM : Je ne sais pas. L’aventure est mon style mais ce n’est pas ma vie. C’est juste une envie d’être. Je ne suis ni un bourlingueur, ni un gentleman voyageur. Je ne prétends pas danser le tango à Buenos Aires ou jouer aux cartes à Macao. Je suis très marqué par mon enfance et celle-ci fut nostalgiquement indochinoise. J’ai été élevé par une grand-mère qui avait vécu en Cochinchine et au Laos dans les années 20. J’ai grandi entre les bouddhas et les éléphants de porcelaine. Il m’en est resté le goût de l’ailleurs.
Tibo : Le mot « aventure », avec toutes ses déclinaisons, est pour moi l’un des plus beaux. Il me rappelle aussi un bar à Rennes, il y a longtemps…
Vous êtes corse ou breton ?
FM : Je viens de m’apercevoir que je ne suis ni l’un ni l’autre et que j’ai passé ma vie à feindre de croire le contraire. Cela n’a plus d’importance maintenant. Je joue ce qui vient.
Tibo : Vous voyagez pour les besoins de vos romans ?
FM : Avant tout pour mon plaisir… mais jamais assez à mon goût. Quand un pays m’inspire et que je songe alors à y situer l’intrigue de mon prochain roman, je deviens très attentif, très observateur. Je prends des notes, je cherche des lieux, je me documente…
Tibo : Quel sera votre prochain roman ?
FM : J’ai terminé un roman « O bord de l’O », dont l’action se situe en Baie de Somme. C’est une fantaisie érotique dont un brésilien est le héros. Je me suis beaucoup amusé à l’écrire. C’est un hommage à la Baie et aux gens qui y vivent. Un roman d’aventures galantes.
Tibo : Rien d’autre ?
FM : Si, j’ai un projet de roman dont l’action se situe en Inde, au Rajasthan, où je viens d’aller faire des repérages. Je veux mettre en scène les Indes de Kipling avec un curry Bollywood. C’est l’histoire d’un cinéaste qui veut faire un remake du film de Fritz Lang « Le tigre du Bengale », qui m’a tellement fait rêver lorsque j’étais adolescent.
Tibo : Encore le cinéma !
FM : oui. C’est vrai que c’est un thème récurrent. Le cinéma me passionne. J’aurais aimé être metteur en scène. Tout est contenu dans la réalisation d’un film… l’écriture, l’image, le son, le jeu, l’action, le rêve, l’amour…
Tibo : Où en êtes vous avec le temps ?
FM : Ça va, ça vient. J’improvise. Je bouge, j’écris. Je m’ennuie. Je découvre et je passe. Au final, j’ai toujours besoin d’histoires et de géographies. D’amis aussi. J’aime la vie plus que je ne le croyais. C’est une bonne nouvelle pour moi.
Interview réalisée par Les nouvelles de Madagascar, quotidien francophone de Tananarive dans lequel Le A Noir de Madagascar a paru en feuilleton en janvier 2005″
Vos quatre romans sont aussi des voyages ?
Avez-vous fait ces voyages pour vous documenter ?
FM : Je suis un voyageur avant d’être un romancier. Très tôt, j’ai commencé à voyager. Dans ma chambre d’enfant d’abord. Ma grand-mère m’a élevé en Bretagne dans un univers Indochinois : bouddhas, tables en teck, tentures, porcelaines, éléphants en céramique. Elle avait vécu avec mon grand-père Corse dans le Delta du Mékong dans les années 20 et 30. Cette atmosphère m’a profondément marqué et mon premier roman « THIOU » prend sa source dans ces souvenirs A partir de 12 ans, je fus envoyé régulièrement en Angleterre, en écosse ou en Irlande. J’ai un côté britannique qui vient de ces étés pluvieux et itinérants. Les voyages lointains sont venus après. À la fin des années 80. Surtout la péninsule Indochinoise, puis Bornéo. Maintenant, l’Afrique et l’Amérique latine m’attirent tout autant. Une grande curiosité me pousse. Une envie d’aller au bout du jardin pour voir… Mes romans ne sont que l’expression formelle de mes voyages réinventés. Je me documente beaucoup sur place, je prends des notes, j’observe, je suis à l’affût des personnages qui pourraient entrer dans mes prochains romans : guides, marins, commerçants, inconnus sur le bord de la route ou croisés dans un restaurant… les femmes aussi. J’aime la géographie. Celle du dehors et celle des êtres que j’ai rencontrés. Au-delà des hasards, je cherche le sillage d’une histoire.
Après avoir exploré des contrées plus orientales dans vos livres précédents, vous décrivez Madagascar. Comment en êtes vous arrivé là ? Est-ce la part asiatique de la Grande Île qui vous a séduit d’abord ?
FM : Je suis allé à Madagascar en 2003 parce qu’on m’avait dit que c’était une île magnifique. Ce fut un coup de foudre. Du jamais vu. Un pays et un peuple qui ne ressemblaient à rien de ce que j’avais connu. L’idée d’y mettre en scène mon nouveau roman m’est venue immédiatement. Madagascar était non seulement le pays du A, celui du commencement donc, mais aussi la rencontre de l’Asie et de l’Afrique. Ce caractère unique m’a séduit et je pense que le livre traduit bien cet envoûtement. J’ai essayé de décrire les lieux comme je les ai abordés, avec la même émotion que celle que j’ai ressentie. C’est le cas pour Majunga et ses rivages. Je transmets mon plaisir de voyageur à mes personnages. J’aimerais savoir si le A NOIR plait aux lecteurs malgaches. Ce serait mon plus grand bonheur de romancier.
Quand un écrivain met en scène un personnage d’écrivain, on se demande toujours s’il lui ressemble. Est-ce le cas pour vous-même et Fabrice Sinibaldi ?
FM : Ah Sinibaldi ! Oui, il me ressemble. Le portrait en couverture du A Noir de Madagascar correspond à celui que j’étais à 20 ans. Il y a beaucoup de similitudes entre lui et moi, mais c’est un personnage imaginaire qui vit des aventures qui ne sont pas les miennes.Sinibaldi est le héros que j’aurais aimé être. Corse et Breton, il a mon côté mélancolique. C’est quelqu’un qui porte en lui les ombres du passé. Un passeur de mémoire. Il est fait de l’étoffe des aventuriers perdus et des rêveurs à quai. La vie ordinaire n’est pas faite pour le satisfaire. Il fait de sa tristesse une histoire d’amour. J’ai fini par m’en faire un ami. Je pense à lui souvent.
Quels sont vos modèles en littérature ?
FM : J’ai été initié en littérature avec La vie mode d’emploi de Georges Perec et les nouvelles de Somerset Maugham. Je n’ai pas vraiment de modèles mais j’admire les grands écrivains d’aventures. Je reste très classique : Melville, Stevenson, Conrad, et aussi Kessel ou Jules Verne. J’explique, par l’intermédiaire de Sinibaldi – dans une scène du « A Noir de Madagascar » qui se passe au collège Saint Michel -, ce que représente le roman d’aventures pour moi. Cette fascination pour le récit du voyageur, les noces du mensonge et de l’exotisme, l’appel des voyelles. Mais il ne faut pas oublier le cinéma qui m’inspire constamment. Mes livres sont très visuels. Je vois d’abord les scènes, les images… Mes goûts me portent vers le cinéma des années 30, 40 et 50, vers les films comme le A Noir..