Interview réalisée par TIBO – photographe reporter
9 juillet 2012 au Bruit de l’Eau – www.lebruitdeleau.org
Tibo : Quel est le sens du titre du roman et de cette illusion ?
FM Après mon dernier roman, « Voyage au bout de l’envers », qui m’a laissé à quai quelque part en Indochine, au plus fort de l’enfance, au plus près du destin, j’avais envie de disparaître dans une illusion. Une impression légère et scénarisée. Une chimère. Je l’ai trouvée dans l’idée du Laos. Je voulais un roman très parisien mais aussi laotien… Imaginer un pays qui n’existe plus ou alors si peu car il est le passé. Le Laos donne cette impression étrange que le temps semble en partie arrêté dans l’ancien royaume du million d’éléphants . Ce qui compte c’est l’idée de le sauver… Mon héros Sinibaldi veut racheter le passé , ses villas, ses élégances. Il est parfaitement conscient de cette vanité. Mais c’est la seule aventure qui l’enchante.
Tibo : Finalement, l’Indochine est toujours ton jardin…
FM
L’Illusion du Laos est mon dernier baiser à l’Indochine. Je n’irai plus sur les bords du Mékong. Je voulais juste une dernière fois regarder le fleuve et revoir ceux de ma famille qui vécurent sur sa rive.
Mon vrai roman sur l’Indochine c’est « Voyage au bout de l’envers ». Il contient mon âme. Je l’ai écrit de toutes mes forces. Ce dernier roman, c’est autre chose, une invitation au voyage vers ce qui n’est plus, une nostalgie féconde, une manière d’aimer au monde. C’est un parfum.
Tibo : Parle nous de cette nostalgie que tu qualifies souvent de Sinibaldienne….?
FM
C’est une aventure intérieure qui transforme un voyage en une expérience sensible et formelle. La nostalgie de mon héros est une pensée triste qui bouge languissamment comme une femme fatale. Sinibaldi fait de sa vie un film. Il est metteur en scène et acteur de son existence. Il choisit le voyage sans fin avec des escales qui le font vibrer, Venise, Valparaiso, Vientiane…. Il invente un empire. C’est un Corse ! Mais c’est aussi un romancier à la recherche d’un mystère .
La nostalgie dont je fais la trame de mes exotiques n’a rien de coloniale même si elle caresse les tropiques de l’ancien empire colonial français. J’essaie de mener une œuvre avec vue sur l’humanité, la tolérance, la liberté, l’imagination.
Au milieu des guerres et des séries noires, Sinibaldi allume la première lumière du soir. Il cherche l’espoir.
Tibo : Deux filles, Nora et Jessica, sont les vraies héroïnes de l’Illusion du Laos. Mettre les femmes sur le devant de la scène, c’est plutôt nouveau chez toi.
FM
J’ai aimé retarder l’apparition de Sinibaldi. Il n’intervient que dans la deuxième partie du roman. Nora et Jessica sont deux journalistes qui le cherchent. Leur quête suscite je l’espère l’envie de le voir comme on attend un amoureux.
Il fallait que je change mes codes romanesques. Les femmes n’occupaient pas assez ma pensée littéraire. Sinibaldi, en héros solitaire, estompait les filles qui servaient ses intrigues. J’ai voulu renverser la vapeur de l’aventure.
Sinibaldi n’est rien sans héroïnes fortes et libres à ses côtés mais surtout plus modernes et plus charnelles que lui. J’accentue toujours leur allure pour faire mon cinéma car je suis influencé par les films noirs des années 40 et 50. Je pense, grâce aux actrices, avoir trouvé des correspondances entre les arts de la mémoire et la mémoire des plaisirs. Sinibaldi réinvente une femme disparue. Orphelin, il a été élevé par un oncle corse. Il recherche sans cesse sa mère en allée trop tôt . Les femmes qu’il rencontre et qu’il aime sont tissées de son regard d’ombre ou le destin vacille. Il vient d’une blessure et veut croire que le miroir lui renverra un visage d’une beauté d’enfance intacte.
Sinibaldi se construit grâce à ses deux héroïnes; elles sont expressives, aimantes et attirantes. Elles exercent sur lui un rôle de sirène. Mais au lieu de le naufrager, elles sauvent son Odyssée.
Tibo : Ton style est constant et reconnaissable mais assez éloigné de celui du roman d’aventures. Il y a une sorte de classicisme. Que cherches tu dans la forme ?
FM
Je cherche à simplifier jusqu’au trouble du français. Le scintillement de l’encre. La fulgurance d’une phrase. La subtilité d’un mot. La couleur d’une expression. La poésie des voyelles. L’étourdissement d’un je ne sais quoi, d’un presque rien… Une consonne qui te siffle et t’invite dans une chambre.
J’aime la langue de Chateaubriand mais aussi l’argot des bataillons d’Afrique, la belle aventure des mots. Je suis Corse et Breton et j’ai le goût des voyages. Après, j’écris ce qui vient en rendant hommage à la langue de ma grand mère. Enfant je parlais comme une veuve. C’est dire l’ambiguité de ma modernité.
Mes romans peuvent se prêter à plusieurs lectures. J’ai des intentions masquées dont certaines ne se dévoilent que les soirs de pleine lune, quand le symbolisme joue à plein et que les chats sont en tenue de gala.
Tibo : L’illusion du Laos , contrairement à tes précédents romans, se passe de nos jours. Ton œuvre tourne autour du monde mais celui-ci perd la boule. Comment continuer à écrire des romans d’aventures poétiques quand il y a de moins en moins à découvrir ?
FM
Je me sens hors saison depuis toujours et Sinibaldi ne l’est pas moins. Il prend tout son temps ce qui est à notre époque une forme d’insolence. Je me suis toujours pensé comme un voyageur solitaire qui prend des photographies d’un monde perdu.
Quand j’évoque un monde perdu c’est sous l’angle de l’histoire des hommes, celle des peuples, leurs civilisations, leurs mémoires. J’ai été très impressionné par certains sites archéologiques comme Tikal au Guatemala et son mundo perdido enfoui sous les grands arbres de la jungle mais aussi les temples d’Angkor au Cambodge et Pagan en Birmanie. J’ai eu un coup de coeur pour le temple de Vat Phou au Laos dont je parle dans mon dernier roman..
Il y a des correspondances mystérieuses de sentiments et de pierres entre les sites névralgiques de l’aventure humaine. Après c’est une question de caméra. Tu fabriques le film de ta vie. Ou le roman sans fin dont tu es le héros parmi les ruines des cités perdues et les architectures modernes du XXI eme siècle.
Sinibaldi pourrait vivre à Tokyo ou Manhattan qu’il trainerait toujours sa silhouette du Lido et ses nostalgies viscontiennes. Il ne voit pas le monde comme tout le monde. C’est un guépard.
Il survivra aux banalités de l’uomo medio parce qu’il est hors saison et que sa mémoire ne retient que la lumière de son imaginaire. Il veut ressembler à l’imaginaire.
Tibo : Il y a systématiquement des références à la photographie dans tes romans. Le héros du « Riz de Rangoon » est un photographe malouin, une scène importante de « Se revoir à Zanzibar » se déroule chez un photographe indien de Stone Town et un chapitre fort de « l’Illusion du Laos » a lieu chez un photographe de Pakse. En tant que photographe tu comprendras que cela suscite mon intérêt.
FM
Je dois beaucoup à un photographe de quartier. celui de mon enfance. Il s’appelait Marcel Brillu. C’était un personnage fabuleux qui, dans cette petite ville de haute Bretagne, faisait les mariages et les portraits posés. Il arrivait souvent après la noce! Il avait un studio et des décors à la Hollywood. De grandes toiles. Un faux château fort. Un jardin botanique. Les couples prenaient la pause avec un sérieux démodé. Ils avaient le sentiment de rentrer dans la boite du sacré. L’illusion de l’éternité. Marcel est mort il y a des lustres mais j’ai gardé le premier appareil photo qu’il m’a vendu.
Je dois à cet homme mon identité. Pas ma personnalité ni mon âme, mon identité. Ma première photo d’identité à 7 ans. Et les suivantes jusqu’à mon permis. Marcel retouchait beaucoup les négatifs. C’était même le plus grand retoucheur de l’ouest. Si bien que j’ai eu grâce à lui la même tête pendant 20 ans. Je lui doit un visage de chat, un Sfumato. Un mystère. Un côté imprenable. Le plus que parfait d’une illusion.
Tibo
Photographie, cinéma, aventure… Tu n’as jamais pensé à écrire des scénarios ?
FM
C’est une forme d’écriture qui m’est étrangère, c’est un métier. Je ne pense pas être capable de me lancer dans cet exercice. Par contre, je rêve qu’un film soit tiré d’un de mes livres. On m’a souvent dit que mes romans étaient cinématographiques.
Tibo
Et maintenant?
FM
J’ai quelques projets de voyages et deux ans devant moi pour écrire le prochain roman.